L’art des accords bières et fromages

Un art tout en souplesse

Il existe tellement de marques de bières et de types de fromages qu’il serait facile de former jusqu’à 100 000 mariages différents! Quand on pense au fait que ce chiffre ne tient pas compte des nombreux facteurs qui peuvent influencer nos perceptions sensorielles, on constate que marier les bières aux fromages est un art incertain. La température des aliments, l’ordre de consommation, le moment de la journée, l’âge des produits, la saison et les nouveaux produits développés auront tous un rôle à jouer dans l’accord parfait du moment, sans oublier les goûts personnels de chacun.

La dégustation n’est pas une science, mais un art irrémédiablement imprégné de nos sensibilités. Une saveur âcre résultant de la rencontre d’un type de bière et de fromage peut ravir les uns et faire grimacer les autres. Ainsi, le succès des épousailles bières et fromages repose surtout sur l’attitude que nous adoptons. Notre curiosité et notre volonté de découvrir en sont les seules frontières. Sur la route de mes découvertes, j’ai réalisé que l’odeur parfois répulsive d’un produit dissimule une grande richesse de subtilités gustatives.

Un rendez-vous au dénouement étonnant

La découverte de l’union parfaite est certes une belle aventure, mais tout le plaisir de l’exercice puise son essence dans le voyage lui-même. Lorsque bière et fromage donnent rendez-vous à vos papilles, ne vous arrêtez pas simplement à évaluer dans quelle mesure cette rencontre vous plaît. Portez plutôt attention à la nature des saveurs et des accords qui se développent dans votre bouche. Cette nouvelle rencontre peut mener à une multitude de dénouement, tous plus imprévisibles les uns que les autres. Qui sait quel type de relation se bâtira sur la base de cette première rencontre? Peut-être connaîtrez-vous une suite de petits flirts plus ou moins réussis avant de rencontrer le grand amour… Si parfois qui se ressemblent s’assemblent, à d’autres occasions les contraires s’attirent. Et entre les deux, tout est possible…

Savoir déguster comme il se doit

Lorsqu’il est question de bières et de fromages, les mariages se construisent principalement sur les saveurs. Pour tout bon goûteur, il est primordial de savoir distinguer odeurs et saveurs. Une odeur est entièrement volatile et peut être perçue à différentes étapes de la dégustation. La saveur, elle, fait appel à vos papilles, principalement regroupées sur votre langue, mais aussi un peu partout dans la bouche. Les accords sont de nature tactiles et se créent sans tenir compte du bouquet de parfums.

Afin de juger adéquatement d’un accord, il est recommandé de servir les aliments légèrement chambrés ou encore à la température ambiante. Plus la température des deux soupirants sera semblable, plus grandes seront les chances qu'une relation harmonieuse se développe entre eux. Le froid amplifie les perceptions sensorielles de l’amertume et de l’acidité. Ces saveurs peuvent alors facilement devenir âcres ou aigres. Certains mariages ratés se réconcilient alors que les aliments se réchauffent au cours de la séance de dégustation.

L’ordre de service

À l’exception des fromages bleus aux saveurs prononcées de sel et de roquefort, l’ordre du service des fromages et des bières durant la dégustation joue un rôle second. Cependant, la règle maîtresse de tout grand événement gastronomique est de débuter avec les saveurs les plus douces et de faire monter l’escalade des saveurs jusqu’aux plus prononcées.

Pour les papilles à la mémoire longue

Il existe plusieurs façons d’effacer la mémoire de nos papilles afin de les préparer à une nouvelle dégustation en toute impartialité. Se désaltérer avec un peu d’eau, prendre une bouchée de pain blanc ou croquer dans une pomme sont des méthodes efficaces. Alors que le pain absorbe suffisamment de saveurs pour offrir à votre prochaine rencontre la chance de bien s’exprimer, la pomme vous procurera une sensation de fraîcheur nouvelle en bouche. L’eau demeure par contre le meilleur moyen d’effacer de vos papilles les traces laissées par d’anciennes rencontres. Pour accélérer ce processus de remise à neuf, une combinaison de ces trois options saura redonner à votre goût son plein potentiel.

Savoir conjuguer

Il est beaucoup plus facile de prévoir l’échec d’une rencontre que les mariages heureux, qui sont souvent complexes et imprégnés de nuances gustatives. Un rendez-vous est voué à l’échec lorsqu’il se développe en bouche une âcreté ou un acerbité trop forte. L’âcreté est une amertume si prononcée qu’elle semble râper l’arrière de la langue et laisse une impression désagréable.

Plus on connaît un fromage ou une bière, plus il est facile de déterminer ses compléments au bon moment. La connaissance vient avec l’expérience. Maintenez une certaine stabilité dans vos séances d’épousailles en invitant sur une base régulière certaines marques de bière et de fromages.

Plus les produits sont jeunes, plus il est facile de prévoir les résultats et de les répéter. Plus ils vieillissent, plus les écarts s’accroissent dans des directions imprévisibles. Le fromage est très sensible aux climats imposés par son environnement. Ainsi, ses conditions d’entreposage (chez le détaillant et chez soi) affectent facilement ses saveurs.

Au fil du temps, les produits gagnent en maturité et le goûteur aussi. La possibilité d’une harmonie réussie repose également sur la compatibilité de caractéristiques qui atteignent leur sommet à un moment précis. Un défaut peut servir de base à la construction d’un accord époustouflant. Le brie de Meaux, par exemple, qui vieillit considérablement vite et fait alors jaillir son ammoniaque, constitue pour certaines bières un attrait irrésistible. Parallèlement à ce phénomène, nos perceptions sensorielles sont en constante évolution.

Le fromage d’abord, la bière ensuite

Le fromage possède une texture solide et remplit la bouche en tapissant la langue et le palais. La texture crémeuse emprisonne les saveurs et les libère plus ou moins rapidement. La bière, de son côté, est liquide, se qui rend sa présence plus éphémère. La bière entraîne avec elle l’humidité résiduelle du fromage. L’aventure débute à ce moment précis, et peut durer durant de nombreuses secondes. Gardez toujours en tête qu’à l’arrivée du liquide dans la bouche, la perception du goût du fromage est momentanément noyée.

Devons-nous pour autant mélanger bière et fromage simultanément? La réponse se trouve dans votre bouche. Si cette méthode de dégustation est tout aussi valable que la première, votre choix dépend de vos préférences personnelles.

Il est important de savoir que le gras du fromage est l’un des principaux ennemis de la mousse de la bière. Dès que vos lèvres porteront la trace de cet inspirant fromage, le col de mousse de votre verre tombera au premier contact.

L’irrésistible douceur

Plus les deux parties possèdent de la douceur, plus la rencontre a des chances de réussir. Pour le fromage, la douceur se traduit par son caractère crémeux. Pour la bière, nous parlons plutôt de son côté sucré.

Le sucre constitue un formidable entremetteur pour les saveurs. Par contre, lorsqu’une bière sucrée rencontre un fromage sucré, il y a de fortes chances que cette qualité commune s’annule, laissant ainsi le champ libre à tout autre aspect de la personnalité de chacun. Portez attention aux croûtes et aux veines roqueforti. Elles offrent souvent une expérience de perception décuplée et n’hésitent pas à révéler leur vraie nature.

L’alcool est ni plus ni moins qu’un dérivé du sucre. Il est en quelque sorte l’âme du sucre. Plus une bière est alcoolisée, plus il devient facile de la marier.

Les subtilités de l’acidité

L’acidité est un puissant désaltérant qui a un je-ne-sais-quoi de tranchant sur les papilles. Elle se retrouve dans certains types de bières ainsi que dans différents fromages. Règle générale, les accords « bière aigrelette - fromage aigrelet » produisent des alliances agréables. Il faut toutefois se rappeler que les relations de cette nature sont particulièrement tendues et peuvent parfois créer, sans prévenir, des saveurs désagréables.

Les rencontres qui laissent amer

De tous les participants à l’aventure, l’amertume du houblon et celle des croûtes fleuries âgées demeurent les plus réticentes aux épousailles. Plus une bière est amère, plus elle sera difficile à marier. Pensez à servir ce type de bières à une température plus élevée. Vous favoriserez ainsi l’élimination des saveurs de houblon.

Plus un fromage à croûte fleurie est âgé, plus il se rebelle à une union harmonieuse. L’âcreté plus prononcée des champignons de la croûte en fait un candidat repoussant pour plus d’une bière.

L’amertume est facilement rééquilibrée par la douceur ou le sucré. En présence d’un soupirant amer, présentez un aliment qui possède les qualités inverses. Évitez les rencontres avec l’aigreur. Lorsqu’on parle d’amertume, les contraires s’attirent.

Le jeu de pouvoir

Il est préférable d’associer une bière forte à un fromage faible plutôt que le contraire. Plus un fromage domine la bière, plus cette dernière devient fade ou même insipide. La formation d’un couple devient rapidement impossible. Le plaisir qui pourrait être ressenti proviendrait probablement uniquement du goût du fromage.

Plus les deux soupirants se ressemblent, plus la relation bâtie sur de délicates nuances pourrait basculer au profit de l’un ou de l’autre. Parallèlement, plus les deux complices ont des personnalités complexes, plus la relation deviendra imprévisible et variable d’une rendez-vous à l’autre. Dans un cas comme dans l’autre, ce genre de fréquentation est particulièrement vulnérable aux conditions extérieures, telles que la température et l’âge des aliments.

Lorsque les complices se multiplient

Lorsque le fromage se présente au rendez-vous accompagné d’herbes, d’épices, de noix, de champignons et/ou de pain, les accords harmonieux se créent plus facilement. L’intervention d’une tierce partie peut métamorphoser les relations.

Si votre fromage n’a pas été fabriqué avec ce petit extra, n’hésitez pas à le saupoudrer d’épices avant la dégustation. Côté pain, la baguette française et le pain aux noix sont d’excellents alliés.

L’exception à la règle

De nombreuses variables peuvent faire de l’ombre à tout moment sur le couple parfait. Un accord habituellement extraordinaire peut ainsi apparaître moyen ou mauvais un jour ou l’autre, et vice versa. Il faut se garder de porter un jugement définitif le soir des premières épousailles. Dans toute relation, la tolérance et la patience sont de mise.

Évaluer les partenaires

L’évaluation d’un mariage bière/fromage peut se faire de deux manières.

L’évaluation factuelle
Soyez à l’écoute des perceptions de votre nez, de votre bouche et de votre gorge. Tentez de décrire l’évolution de votre perception des saveurs, et laissez le couple vous parler. Bien que cette méthode aille à l’encontre de nos réflexes instinctifs de porter spontanément un jugement, elle vous révélera beaucoup sur la nature profonde d’une union. Votre concentration est donc essentielle.

L’évaluation subjective
Cette seconde méthode d’évaluation laisse davantage de place à votre spontanéité. Durant le rendez-vous des goûts, donnez un droit de parole à votre plaisir. Le couple peut être parfait, mais s’il provoque chez vous un déplaisir intense, il n’est peut-être pas pour vous.

Votre évaluation d’un couple doit se faire tout en nuances. Une évaluation équilibrée tiendra compte des faits comme des sentiments.